C’est sans doute la question que se posent aujourd’hui de nombreuses coopératives. En effet, de plus en plus de ces organisations s’intéressent à l’économie circulaire et commencent à en comprendre les avantages, notamment sur le long terme. Cependant, il n’est pas aisé de se « circulariser ». Bien qu’elles représentent un outil idéal pour maximiser le bien-être social, les coopératives rencontrent des difficultés à intégrer les principes de l’économie circulaire dans leur modèle. Elles manquent d’outils existants et de soutien sur ce sujet. Et c’est ici qu’entre en jeu le modèle coopératif et circulaire de réponse à un besoin (CCRABE), un canevas pour guider la réflexion des coopératives et d’identifier des leviers pour circulariser leur modèle, via un format simple et complet. Mais comment exactement ? Et pourquoi cette image du crabe ? On vous en dit plus ici. 

Avant tout, êtes-vous familiers avec les coopératives ? Non ? Une coopérative c’est une « association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs à travers une entreprise détenue collectivement et contrôlée démocratiquement » selon l’ACI ( Alliance coopérative internationale). Cela signifie que ce type d’organisation s’appuie sur un entrepreneuriat collectif (et non individuel comme dans nombre d’entreprises privées) et relègue au rang d’outil le profit financier pour se focaliser sur la création de valeur sociale. Ce mouvement est très présent au Québec avec plus de 3 000 coopératives et mutuelles employant 120 000 personnes et s’occupant des besoins de 8,6 millions de membres. 

Une des limites des coopératives, c’est que l’aspect des impacts environnementaux sont plus souvent négligés ou passés au second plan. Le canevas du modèle CCRABE intervient donc pour donner des outils aux coopératives pour intégrer les impacts environnementaux (positifs ou négatifs) dans leur modèle. 

Comment considérer ces impacts ? Tout simplement en intégrant à ce canevas les principes d’économie circulaire. En effet, l’économie circulaire a pour vocation de réduire la consommation de ressources vierges dans nos sociétés. Elle se positionne en opposition à l’économie linéaire, qui est aujourd’hui le modèle sur lequel s’appuie la majorité de ce qui est produit (et donc de ce que nous consommons). L’économie circulaire s’appuie sur plusieurs stratégies de circularité comme les douze stratégies mises en évidence par RECYC-QUEBEC. Le canevas du modèle CCRABE permet donc de guider la réflexion sur d’éventuelles solutions de réduction des impacts négatifs ou de maximisation des impacts positifs sur l’environnement (on peut par exemple penser à la restauration de la biodiversité). Aussi, le concept d’économie circulaire aide à comptabiliser les impacts négatifs et positifs potentiels qui peuvent avoir lieu tout au long du cycle de vie d’un produit ou d’un service. Ce cycle de vie inclut toutes les étapes de vie du produit/service allant de l’extraction des ressources utilisées, à la fin de vie des composants, en passant par l’approvisionnement, la fabrication et l’utilisation. Aujourd’hui, 85 % des fédérations de coopératives du Québec se disent en réflexion sur l’intégration de concepts d’économie circulaire dans leur activité. 

C’est bien beau tout cela, n’est-ce pas ? Mais vous allez me dire : « D’accord, mais ton crabe dans l’histoire, qu’est-ce qu’il vient faire ici ? ». Question légitime, certes. Avant d’y répondre, je dois vous préciser la façon dont je définis le système économie-société-environnement.  

D’abord l’économie : je la définis comme un « ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses » certes, mais qui a aussi pour objectif d’améliorer le bien-être de l’humain. J’ajouterais que l’économie est basée sur l’exploitation de ressources tirées de l’environnement et donc que, sans ressources, les temps seraient durs pour elle. C’est pourquoi je pense que l’économie doit se faire dans le respect des limites planétaires. L’économie est donc un moyen, un outil. La société, elle, est définie comme l’« ensemble des êtres humains vivant en groupe organisé ». Et l’économie — au même rang que les institutions, les lois et les règles de vie — est là pour aider au bon fonctionnement de ce groupe. C’est pourquoi la société est vue comme englobant l’économie. Enfin, l’environnement sera considéré ici comme la « limite » que la société ne peut dépasser dans son évolution au risque de mettre en péril sa propre existence. On peut faire le rapprochement de l’environnement avec le « plafond » du donut de Kate Raworth. Ces trois entités sont représentées sous forme de cercles concentriques dont le plus grand est l’environnement qui englobe la société, qui elle-même englobe l’économie. 

« Et finalement ce crabe ? ». J’y arrive. Le CCRABE donc (oui, avec deux « c » comme vous l’avez vu au début) sert d’abord de moyen mnémotechnique pour retenir le nom du modèle (« Coopératif et Circulaire de Réponse À un BEsoin »). Ce nom de canevas est d’ailleurs le reflet d’une rupture souhaitée avec le bon vieux « canevas de modèle d’affaires ». En effet, ce mot « affaires » a aujourd’hui une forte connotation capitaliste, qui reflète le souhait de faire du profit financier et surtout de définir ce souhait comme l’objectif ultime. Et ce n’est ni dans ma volonté personnelle ni dans les valeurs coopératives de positionner le profit financier ailleurs qu’au rang d’outil de travail (et non une finalité). Le CCRABE est aussi là pour personnifier cette volonté : je vois le modèle coopératif comme un crabe qui, armé des principes coopératifs dans une de ces pinces et de ceux de l’économie circulaire dans l’autre, est capable (et même obligé d’ailleurs) de parcourir et donc considérer fréquemment les trois cercles concentriques pour prendre en compte les aspects sociaux et environnementaux en plus de l’économie, grâce à sa capacité de marcher (quasiment) uniquement de côté. Cette illustration vient s’opposer au « poisson rouge capitaliste » qui tournerait dans son bocal rond appelé « économie » sans même s’intéresser aux autres cercles et donc en oubliant de considérer la société et l’environnement dans ses prises de décision (vous avez dit mémoire de poisson rouge ?). 

« OK, c’est bien chouette, on s’est bien amusé avec les stéréotypes sur les animaux. Et ensuite ? Que fait ce canevas ? À quoi ressemble-t-il ? ». Vous avez tout à fait raison. Ce canevas s’inspire de celui popularisé entre autres par A. Osterwalder et Y. Pigneur dans le monde l’entrepreneuriat pour « monter son modèle d’affaires » : le canevas de modèle d’affaires (ou Business Model Canvas – aussi abrégé BMC) 

Pourquoi s’en inspirer ? Car il a de gros avantages comme sa simplicité et sa faculté à donner une vision d’ensemble afin de valider la cohérence du modèle. J’ai donc révisé le canevas afin de l’adapter aux modèles coopératifs et circulaires : pour cela j’y ai intégré des éléments qui guident les entrepreneurs collectifs afin de considérer adéquatement les leviers et les risques inhérents aux modèles circulaire et coopératif. Ainsi, le canevas du modèle CCRABE facilite l’élaboration de leur modèle d’affaires et l’identification d’opportunités de réduction des impacts négatifs ou de maximisation des impacts positifs pour l’environnement, tout en considérant les aspects sociaux.  

« Tu ne croyais pas t’en tirer comme ça, si ? Il ressemble à quoi ce CCRABE ? » Bon point, j’ai failli oublier ! Aussitôt dit, aussitôt fait : ci-dessous, voici à quoi ressemble le canevas du modèle CCRABE. Je vous laisse aussi deux liens vers canevas complet et vers le rapport du projet ayant abouti au canevas du modèle CCRABE. 

– Jean-Loup Crété

Le projet de Jean-Loup Crété a bénéficié d’une bourse du RRECQ (Réseau de recherche en économie circulaire du Québec) et du FRQ (Fonds de recherche du Québec) dans le cadre du projet « Économie circulaire et coopération – Exploration de trois approches connexes (coopératives, communs et l’arbre de la coopération) pour une économie juste et durable ».

Téléchargez le canevas CCRABE en format PDF ici!

Téléchargez le guide du canevas CCRABE ici! 

Quelques photos de l’atelier du 9 novembre 2022 sur les coopératives et l’économie circulaire pour les étudiants de HEC Montréal. L’utilisation du canevas Modèle CCRABE était au coeur de l’activité.